MAURICE LE GLAY

Récits Marocains
de la Plaine
et des Monts

BERGER-LEVRAULT, ÉDITEURS
NANCY-PARIS-STRASBOURG

QUATRIÈME ÉDITION

A la mémoire
d’Edouard de BILLY

Les Mendiants

A Rabat de la Victoire, Rbat el Feth, la mosquéeDjama el Kebir occupe l’angle de larue Souiqa et de la voie plus large qui mène àBab Chella.

La mosquée est un vaste bâtiment que la présenced’un chrétien ou celle d’un juif n’a jamaissouillé. Elle a une entrée sur chaque rue et lesportes en sont constamment ouvertes à la dévotiondes fidèles.

Quand les Français eurent introduit un peud’ordre dans l’administration des habous[1], laremise en état de la mosquée fut une des bellesdépenses facilitées par ce budget régénéré. Et, àla demande des bonnes gens de Rabat, les entréesfurent garnies de vastes boiseries formant écranqui protègent aujourd’hui le sanctuaire contretout regard impur quand les portes s’ouvrent.Cette précaution était absolument nécessaire enraison du nombre croissant des gens appartenantà toutes les races chrétiennes qui passent continuellementdans ces rues.

[1] Habous, fondations pieuses.

Une latrine infecte se trouve dans Souiqa, justeen face de l’entrée de Djama Kebir. Comme tousles établissements du même genre, cette latrine estde fondation pieuse ; les habous régénérés y jettentaujourd’hui des produits chimiques opportunset y amènent des eaux qui sont habousaussi. Le marché des peaux et le travail du cuirachèvent de donner à Souiqa une inexprimableodeur qui surprend les profanes, mais à laquelle,somme toute, on s’habitue très vite. Près del’autre porte, sur Bab Challa, dans l’épaisseur dunoble mur de la mosquée, est ménagée uneniche formant boutique dont le plancher couvertd’une natte est à cinquante centimètres au-dessusde la rue.

Là gisent sur leurs derrières, à des heures imprécisesde jours incertains, un, deux ou trois adoulqui doucement somnolent, causent des choses del’empire, égrènent des chapelets et parfois aussiécrivent sur leurs genoux des actes judiciaires,consignent, pour leur donner force en justice, lesdéclarations vraies ou fausses des plaideurs. Toutcela, jours et heures de travail, nombre des fonctionnaireset leur rôle et leur utilité ne semblentavoir pour loi qu’une douce fantaisie. Et si danscette appréciation le conteur sceptique se trompe,qu’on lui pardonne, car Dieu seul est le plussavant en ces choses et en toutes les autres, qu’Ilsoit béni et exalté, amen !

Les adoul sont des gens graves, de mœursdouces, sinon pures. Ils sont bien habillés etpropres. Ils ne se hissent pas dans leur logette,comme les boutiquiers de Souiqa, à l’aide d’unecorde pendant du plafond. Dès que l’un d’euxparaît, le tapis de feutre sous le bras gauche, surgit,on ne sait d’où, un homme muni d’un petitescabeau qui permet aux pieds prudents de l’adeld’amener leur maître dans la boutique. Puisl’homme à l’escabeau rentre dans la foule jusqu’àce que vienne un autre adel, ce qui n’est jamaiscertain.

En tout cas, dans leur logette quand ils y sont,à leur travail s’il en est, les hommes de loi ontune sérénité extrême, malgré le bruit intense dela rue, sous les effluves chloridrés de la latrinemêlés aux relents de basane et du filali.

Or un jour qu’ils étaient tous trois réunis attendant

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